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Le projet du Grand Paris vire au grand gaspi (35 milliards au lieu de 22)

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Facture qui flambe, dépenses inutiles… le projet de supermétro destiné à faire de la capitale une mégapole déraille déjà. Voici les fautifs.

Construire 200 kilomètres de métro automatique, bâtir 68 gares et aménager des millions de mètres carrés de logements et de bureaux en Ile-de-France… Mener un tel chantier pharaonique mérite bien quelques compensations. Ce n’est pas Thomas Degos, directeur général des services de la Métropole du Grand Paris, qui dira le contraire : pour se loger avec sa famille, cet ancien préfet du Morbihan bénéficie d’un luxueux appartement d’environ 120 mètres carrés situé en bordure du Champ de Mars, a révélé le Canard Enchainé dans son édition du 22 novembre. Le loyer, pris en charge par la Métropole, se monterait à 6.400 euros charges comprises… une goutte d’eau dans la facture du Grand Paris ?

En octobre dernier, la Société du Grand Paris (SGP) s’est dotée d’un collège d’experts à la mission très louable : “Apprécier les effets dans ses aspects économiques, urbains, sociologiques et territoriaux” de la construction du métro Grand Paris Express. Dix ans après le lancement du chantier du siècle, son directeur Philippe Yvin a donc décidé de mener, en quelque sorte, une étude d’impact. Tant qu’à pousser la réflexion, la SGP pourrait aussi se pencher sur la facture finale de ce gigantesque projet visant à dynamiser l’Ile-de-France.

La première estimation sérieuse remonte à 2010 : elle chiffrait alors l’ensemble à 22 milliards d’euros. Puis, en 2014, Pascal Auzannet, qui a fait des allers-retours entre cabinets ministériels et RATP, réévaluait la facture à 28 milliards. Une estimation qui, trois ans plus tard, ne tient déjà plus la route. Sur certains tronçons, les coûts des travaux pourraient atteindre des niveaux jamais vus, plus de 300 millions d’euros le kilomètre, en raison de la profondeur inouïe des forages. Car tout ou presque doit être enfoui. La lettre spécialisée dans les transports Mobilettre a révélé en septembre qu’on parlait désormais a minima d’une note à 35 milliards d’euros, si le programme reste inchangé.

Le coût des travaux augmente :

Un tunnelier commencera à forer début 2018 à Champigny-sur-Marne. Mais, d’ores et déjà, les retards pris sur le terrain montrent que ces chiffrages sont probablement sous-évalués. Mis à part les prolongements de l’actuelle ligne 14, au nord vers Saint-Ouen et au sud vers Orly, et peut-être la ligne 15 sud, aucune ligne ne sera mise en service avant la date totem des Jeux olympiques à Paris, en 2024. La 17 vers le nord, la 18 vers Saclay et Versailles pourraient être reconfigurées ou reportées. Mais les élus d’Ile-de-France, de LR au Parti communiste, ne veulent pas en entendre parler. Une centaine d’entre eux manifestaient encore à Versailles-Chantiers en octobre.

Leurs administrés s’en offusqueront-ils eux aussi ? Bien peu savent qu’ils financent ces grands travaux avec leurs impôts. Oh, de façon très discrète : sur leurs taxes, foncière et d’habitation, figure cette mention tout en bas : “Les taxes spéciales comprennent la TSE Grand Paris pour X euros.” Tout aussi indolore en apparence, le Grand Paris Express perçoit une taxe sur les bureaux et recourt pour le reste aux emprunts, garantis par l’Etat. On comprend qu’Emmanuel Macron et son gouvernement veuillent reprendre la main sur ce projet où tous les protagonistes semblent avoir contribué au grand gâchis. Voici les fautifs.

Les mégalos

Mitterrand avait eu sa Très Grande Bibliothèque, Chirac son musée des Arts premiers. Sarkozy a voulu son Grand Paris. Soyons justes, ce dernier avait posé le bon diagnostic. La région capitale souffrait d’un manque cruel d’investissements, depuis la construction dans les années 1970 des RER A et B arrivés à saturation. Il fallait lui redonner un grand dessein, la doter d’infrastructures dignes d’une mégapole capable de rivaliser avec Londres, bannir la notion de banlieue. Pour cela, Nicolas Sarkozy a voulu contourner la bureaucratie en créant une société de projet ad hoc, la SGP, et un secrétariat d’Etat dédié, piloté à partir de 2008 par l’ancien patron de la RATP et d’Air France, Christian Blanc. Celui-ci avait d’emblée indiqué ses intentions : “Je lance le truc et je démissionne.” Ce que ce fumeur de havanes fit dès 2010, sur fond de polémique – 12.000 euros de cigares en note de frais. Blanc parti, le Grand Paris Express pouvait prendre son envol, sans poids lourd politique pour le porter. “Il n’y a plus de pilote”, s’inquiétait d’ailleurs le même Blanc en 2015, bien après son départ.

Les négligents

Le vernissage d’une exposition consacrée aux gares, au musée d’Art contemporain de Vitry-sur-Seine, en juin 2015, et puis plus grand-chose. Durant son mandat, François Hollande (photo ci-dessous) ne s’est guère occupé du Grand Paris. Le dossier n’intéressait pas le Corrézien. Son ami Jean-Paul Huchon, l’ex-président de la région Ile-de-France, avait bien été alerté sur les risques de dérive budgétaire. Mais il n’a jamais osé hausser le ton, de peur de déplaire aux élus. Ce n’est pas Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des territoires et du Logement de 2012 à 2015, qui avait la tutelle de la SGP, qui pourrait leur en faire le reproche. Nostalgique du petit pavillon de banlieue, elle n’était guère enthousiasmée par ce programme de densification urbaine. On lui doit bien un discours, à la Maison de l’architecture en Ile-de-France, pour vanter des “gares olfactives” (sic). Pour le reste, c’est son conseiller Thierry Lajoie qui a géré les arbitrages à plusieurs milliards.

Ses collègues des Transports, Frédéric Cuvillier puis Alain Vidalies, n’ont guère fait mieux. Ni l’un ni l’autre n’avaient de conseiller chargé de ce projet pourtant majeur. “Nous avions tellement de dossiers compliqués que nous avons négligé celui-là”, reconnaît un ancien conseil le chez Vidalies, évoquant notamment l’écotaxe et la réforme ferroviaire. Début 2017, l’Inspection générale des finances et le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) ont bien été chargés d’un rapport d’évaluation. Mais, à quelques mois du verdict sur la candidature Paris 2024, il n’était pas question d’appuyer trop fort là où cela fait mal.

Les dissimulateurs

“Il n’y a pas de surcoûts puisque les coûts définitifs n’étaient pas arrêtés.” Voilà comment Philippe Yvin, le directeur de la SGP, commente la dernière évaluation à 35 milliards du grand œuvre. Pour lui, il faut dépasser la vision purement comptable. “C’est un système global, chaque tronçon contribue à créer le choc économique et urbain attendu, dit-il. L’impact économique sera plus fort et le coût moindre si la réalisation est concentrée dans le temps.” La façon de raisonner de ce proche de Claude Bartolone est révélatrice de la conduite du projet au siège de Saint-Denis. Contrairement à la plupart des grands chantiers internationaux, la SGP ne s’est ainsi pas dotée d’une plate-forme numérique de simulation en temps réel des travaux, qui aurait permis d’actualiser les coûts. Les réunions d’évaluation en préfecture se déroulent souvent sur la base de documents PowerPoint façon lancement de lessive. Et le Stif (Syndicat des transports d’Ile-de-France), qui sera en charge de l’exploitation du futur réseau, s’est longtemps plaint par la voix de sa directrice générale Sophie Mougard d’être tenu à l’écart.

Un programme de cette ampleur est forcément soumis à des impondérables, des argiles vertes instables, des trésors archéologiques, plaide-t-on aussi à la SGP. Mais le dérapage tient bien davantage aux choix des tracés et d’implantation des gares, à l’organisation même de la maîtrise d’ouvrage. Pour obtenir l’assentiment des élus et limiter les expropriations, la SGP a souvent retenu les options les plus coûteuses. La station de métro la plus profonde de Paris, Abbesses, est enfouie à 36 mètres. Là, on ira creuser à 70 mètres de profondeur ! L’implantation des gares a aussi obligé à des exploits techniques ; 92% du coût de celles-ci est absorbé par le génie civil en sous-sol !

Quant aux dépenses de fonctionnement de la SGP, elles tiennent de la caricature. Avant que la Cour des comptes n’ait commencé à y mettre son nez au printemps 2017, c’était open bar. Quelques membres de la direction de la SGP, selon nos informations, émargent à plus de 300.000 euros brut par an. Durant la phase de conception, à la SGP dirigée d’abord par Marc Véron, un proche de Christian Blanc, puis par le préfet Etienne Guyot (recasé depuis à la CCI d’Ile-de-France), les voyages d’études à l’étranger étaient légion. Elus, architectes et techniciens étaient embarqués pour inspecter les gares japonaises, espagnoles, américaines…

Enfin, et paradoxalement, la SGP ne se montre pas assez dépensière en terme de personnel. Avec 210 salariés à ce jour, elle est largement en sous-effectif pour mener un chantier d’une telle ampleur. La conséquence ? Ce sont des prestataires privés, les assistants maîtres d’ouvrage, qui établissent les dossiers techniques. Et la dépense publique, ce n’est pas leur priorité.

Les profiteurs

Pour eux, c’est le jackpot. Eux ? Les géants du BTP. Vinci Construction a décroché un premier contrat de 926 millions d’euros. Bouygues en a, lui, engrangé trois, pour un total de 1,1 milliard. Eiffage un, à 795 millions. Et ce n’est que le début du festin. Seul bémol, les rois du terrassement commencent à s’inquiéter des risques juridiques : certains appels d’offres, mal ficelés, pourraient donner lieu à des recours. Les architectes, eux aussi, sont à la fête. Eriger 68 gares, cela donne du travail à beaucoup de monde.

Et comme les grands gestes architecturaux ont été privilégiés, on retrouve de grandes signatures : les Français Dominique Perrault, Jean-Paul Viguier, ou encore le Japonais Kengo Kuma et l’Autrichien Dietmar Feichtinger. “Le premier devoir, c’est de mettre du beau partout”, avait déclaré le président Hollande lors de son vernissage. Fort bien. Mais la rationalité économique de ces gares a rarement été privilégiée. Comme sont encore négligés des accès de bus à proximité ou des parkings à vélos sécurisés. Trop peu de superficies seront dédiées aux commerces et aux services, alors qu’ils font partie de l’équilibre global de ce type d’équipements. Les voyages de la SGP à Madrid, Tokyo, Londres auraient pu inspirer davantage.

Les pousse-au-crime

La SGP voulait établir une base de travaux pour la ligne 15 sud à Créteil, à l’emplacement de terrains de football proches du quartier Pompadour. Le foot, c’est populaire. Alors, pour ne pas heurter les clubs, le maire Laurent Cathala a demandé qu’on installe les baraques de chantier plus loin. Peu importe la facture. Même topo à Rosny-sous-Bois pour la ligne 15 est. Cette fois, le maire Claude Capillon voulait qu’on déplace un site de maintenance des trains du quartier de la Garenne à celui de Montgolfier. Le surcoût a été estimé à 152 millions d’euros. Un détail selon la SGP, pour laquelle “cela ne modifie pas significativement l’évaluation socio-économique du projet”. Va donc pour le déménagement, techniquement injustifié d’après l’Autorité environnementale (CGEDD).

Comme eux, la majorité des élus franciliens a contribué à faire flamber la facture du Grand Paris Express. Pascal Auzannet nous l’avait confié : quand, le premier, il s’en est inquiété, ses anciens camarades communistes, le président du Val-de-Marne Christian Favier en tête, l’ont quasiment insulté. Et aujourd’hui, tandis que le gouvernement veut revoir la copie, les élus, de droite et de gauche, montent au créneau. A l’ouest, Pierre Bédier, président LR des Yvelines, dénonce “l’absurdité” d’un report de la 18. Saint-Quentin-en-Yvelines ne va-t-il pas accueillir le golf et l’équitation aux JO ? Au nord, le maire PS de Gonesse (Val-d’Oise) et le président LR du département, Arnaud Bazin, s’inquiètent de l’avenir de la ligne 17, entre Le Bourget et Roissy. Pourtant le trafic, estimé à 75.000 voyageurs par jour, mérite qu’on s’interroge sur un projet à 1,8 milliard d’euros.

Les planquées

Valérie Pécresse, la nouvelle présidente de la région Ile-de-France, est dans une position inconfortable. D’un côté, il y a la mère la rigueur, qui a invité Philippe Yvin à “une véritable réflexion autour du coût des gares afin de rationaliser davantage le projet” ; mais de l’autre, il y a l’élue des Yvelines, qui n’a pas du tout envie de se mettre à dos sa base électorale. A ce second titre, elle défend mordicus le maintien du tracé et du calendrier de la ligne 18, la plus menacée. Elle l’a redit dans une lettre récente au préfet de la région, Michel Cadot. Un report ou, pire, un abandon auraient un “impact catastrophique”, dit-elle. Bilan, entre ces deux préoccupations contradictoires, Valérie Pécresse préfère ne pas trop monter en première ligne.

Moins exposée, et retranchée à l’intérieur de son périphérique, la maire de Paris Anne Hidalgo a choisi jusqu’à présent de ne pas trop s’en mêler. Les Parisiens financent pourtant comme les autres le projet. Et il s’agit aussi de désengorger les RER saturés qui traversent la capitale. Les JO 2024 vont toutefois la pousser à sortir du bois. La candidature parisienne mettait en avant les nouvelles infrastructures, même si elles ne conditionnent en rien le succès des JO. Reste à savoir si Anne Hidalgo poussera au respect du calendrier ou si elle trouvera une mobilité douce de rechange.

L’actuel gouvernement à la veille d’arbitrages délicats

Jamais à court de grandes réformes, Emmanuel Macron veut repenser l’organisation territoriale de l’Ile-de- France en fusionnant notamment les départements de la petite couronne. Un big bang qui ne manquera de se répercuter sur le Grand Paris Express (GPE). Initialement programmée le 23 octobre, sa grande conférence métropolitaine devait être reportée, le temps de trancher plusieurs questions ô combien sensibles comme la répartition des pouvoirs entre Paris, la métropole, la région… et le calendrier des lignes du Grand Paris Express. Y aura-t-il un moratoire ou même une remise en cause d’une ou plusieurs lignes? La 17 au nord (en violet) et la 18 sur le tronçon reliant le plateau de Saclay (en vert) à Versailles sont particulièrement menacées. La fréquentation prévisionnelle de cette dernière, qui n’est que de 100.000 voyageurs par jour, pour un coût de 2,7 milliards d’euros, pourrait justifier un report ou la recherche d’une solution moins coûteuse.

Et en plus, il y a le CDG Express !

Mi-novembre l’Etat annoncait qu’il allait prêter 1,7 milliard d’euros, à partir de 2019, au concessionnaire de la construction de la liaison ferroviaire directe entre l’aéroport de Roissy et Paris, appelée CDG Express. Relancée en 2015 par la loi dite… Macron, cette infrastrucure n’entre pas dans le périmètre du Grand Paris Express, mais, pour certains, doublonne avec sa ligne 17 et l’actuel RER B. La mise en service est prévue en 2023. Paris Aéroport (ex-ADP) et SNCF Réseau seront co-maîtres d’ouvrage de ce métro au coût de construction estimé à 1,5 milliard. Il reste à savoir qui supportera le risque si la ligne ne fait pas le plein. Ce qui est certain, c’est que le voyageur paiera 24 euros son trajet et que les compagnies aériennes seront soumises à une taxe de 1 euro sur les billets d’avion (hors trajets en correspondance) lors de la mise en service.

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