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Comment Uber et les autres applications de transport ont conquis les banlieues 

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Depuis 2012 et l’arrivée d’Uber en France, les banlieues sont devenues les principales pourvoyeuses de main-d’œuvre pour les applications de transport.

Pendant plus de deux ans, au volant de sa voiture louée, Demba a passé ses nuits à sillonner les rues et avenues parisiennes. À cette époque, ce quadragénaire d’Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, passe chaque jour plus de 12 heures à guetter la moindre course possible sur ses différentes applications de transport de personnes. Demba s’est lancé dans l’aventure fin 2014, en créant sa micro-entreprise, en parallèle d’un emploi de chauffeur de personnes à mobilité réduite. Il met le pied à l’étrier grâce au service de VTC français Le Cab, qui à ce moment-là lui « vendait du rêve », comme à beaucoup d’autres. Mais déçu, il arrête rapidement. Dans la foulée, fatigué des contraintes de son métier, il met un terme à son CDI pour trouver autre chose. S’en suivent plusieurs mois de chômage. « Pourtant j’ai cherché partout, de Flunch en passant par la RATP et bien d’autres. Mais là-bas, en Seine-Saint-Denis, les opportunités sont rares », explique-t-il.
Demba se tourne alors vers Uber, le leader dans le domaine des VTC. « J’ai pu travailler à mon compte, librement. Le fait de devoir mettre une veste, bien s’habiller et arrêter de mettre un jean et des baskets, fait du bien et responsabilise ». Aujourd’hui, près de deux ans après ses premiers pas chez Uber, il a trouvé un travail en entreprise. « Même si on doit faire énormément d’heures pour être rentable et même si Uber a peu de considération pour ses chauffeurs, ça m’a bien aidé de pouvoir travailler avec eux à cette période », raconte-t-il.

Dans les banlieues, un parcours comme celui de Demba n’a rien de singulier. Uber, Chauffeur Privé, Le Cab et toutes les autres applications de transport se sont durablement implantées dans les quartiers du nord de l’Ile-de-France. Depuis son arrivée officielle dans l’Hexagone en 2012, le géant américain cible cités et quartiers défavorisés à grands coups de publicités ou d’opérations de communication sur le terrain. Et là-bas le message trouve écho. « Nous avons mené plusieurs opérations, dont celle intitulée ‘70.000 entrepreneurs’ que nous avons recentrée autour de la population de ces quartiers car elle est particulièrement sensible à notre secteur d’activité. On s’est engagé avec des acteurs locaux pour qu’ils nous aident à construire un programme qui répond mieux aux besoins des banlieues », raconte au Figaro une porte-parole de Uber. « C’est certain qu’il y a des stratégies de ciblage de la part des plateformes. Elles font tout pour s’adresser à ces populations parce qu’elles se disent que ce sont des personnes qui ont des difficultés d’accès à l’emploi », explique Sarah Abdelnour, sociologue à l’Université Paris-Dauphine. Pour se “rapprocher” de ses “partenaires-chauffeurs”, l’entreprise californienne a même déménagé son “centre d’accueil” de Paris à Aubervilliers, fin 2016. Tout un symbole.

Uber, la carte et le territoire

Ainsi, depuis 2012 et l’essor de ces applications, plus de 25.000 entreprises ou micro entreprises de transport de personnes ont été créées dans les différents départements de la petite et grande couronne parisienne. Un chiffre qui résume à lui seul l’ampleur de la dynamique VTC

Depuis l’arrivée de Uber en 2012, de nombreuses personnes issues de quartiers qui font face à des difficultés d’accès à l’emploi ont sauté le pas. Dans une étude publiée en septembre 2016 avec Harris Interactive, Uber revendiquait que 55% de ses chauffeurs ne travaillaient pas avant de commencer leur activité et que 39% d’entre eux étaient en recherche d’emploi. « Beaucoup de chauffeurs nous ont expliqué que c’est à la suite de licenciement ou de situation de fragilité dans l’emploi qu’ils se tournent vers les applications de transport de personnes. De l’extérieur, Uber représente à leurs yeux une voie rapide d’accès à des revenus », détaille la sociologue, Sarah Abdelnour. Vu des banlieues, l’expérience peut en effet paraître alléchante tant elle représente un premier moyen de trouver ou retrouver une activité et ce en s’affranchissant des barrières à l’entrée du marché du travail traditionnel.

« Notre défaite collective, c’est que les quartiers où Uber embauche ce sont des quartiers où nous, on ne sait rien leur offrir », constatait en novembre 2016 Emmanuel Macron avant d’officialiser sa candidature à l’élection présidentielle. En affirmant cela, le président de la République visait juste : en région parisienne, 45% des chauffeurs qui travaillent avec l’application américaine viennent de communes avec un taux de chômage supérieur à 15%. Et si la dynamique reste telle quelle, la proportion du chauffeurs issus des banlieues pourrait continuer à augmenter sensiblement. En 2013, d’après le Boston Consulting Group, il y avait 3.4 chauffeurs pour 1.000 habitants en Ile-de-France contre 5.6 en 2016. Sans restriction des pouvoirs publics ce chiffre pourrait atteindre les 12 chauffeurs pour 1000 personnes d’ici 2022, selon le cabinet de conseil en stratégie. Toutefois, la loi Grandguillaume devrait freiner le mouvement. Ce texte voté fin 2016, et qui entrera en application dans les prochaines semaines, empêchera les applications de travailler avec des personnes qui ont recours au statut LOTI. Ces derniers suivent une formation plus courte et surtout moins chère que les VTC. Toutefois, les «LOTI» sont censés transporter au moins deux personnes, contre une seule pour les VTC. Mais dans les faits cette règle est largement détournée. Ainsi, selon certains experts du secteur, la moitié des chauffeurs pourrait être concernée par la loi Grandguillaume…

Au-delà du chômage, Uber, AlloCab, Le Cab et les autres applications fleurissent dans des zones où le niveau de diplôme est plus faible que la moyenne. Pourtant, une étude menée par deux économistes français, David Thesmar et Augustin Landier, montre que les chauffeurs VTC sont plus diplômés que la moyenne. 61% des personnes travaillant avec Uber ont au moins le bac contre 55% de la population active française et 46% des chauffeurs de taxis, d’après le travail des deux économistes. « En fait, les chauffeurs travaillant avec Uber ont un niveau d’éducation plus élevé parce qu’ils sont en moyenne plus jeunes », expliquent-ils.

Si le phénomène « d’Uberisation » est fort dans les banlieues franciliennes, il est encore plus flagrant en Seine-Saint-Denis.

Jusqu’en en 2012, les créations étaient relativement stables et oscillaient autour de 2900 à 3000, chaque année.

Mais en 2013, soit l’année suivant l’arrivée d’Uber en France, le nombre de chauffeurs à arpenter les rues franciliennes a nettement augmenté. Cette année-là, 4104 personnes ont créé une entreprise de transport, soit une évolution de 25% par rapport à 2012.

Et cette progression a explosé les années suivantes. En 2014, il y avait ainsi 6882 créations d’entreprises de transport de personnes, puis 9632 en 2015, et 12.030 en 2016.

En proportion, la Seine-Saint-Denis abrite à elle seule près d’un quart des chauffeurs d’Ile-de-France. Ce qui en fait le premier département français fournisseur de main d’œuvre pour les applications VTC.

Avec la création de 6383 entreprises de transport de personnes depuis 2010, la Seine-Saint-Denis regroupe à elle seule plus de chauffeurs que la Seine-et-Marne (1854), les Yvelines (1868) et l’Essonne (2168).

À Bobigny, comme dans la majorité des autres villes de Seine-Saint-Denis, le métier de VTC rencontre un grand succès. Là-bas, plus d’un pour cent de la population 18-64 ans y exerce une activité de transport de personnes. « Dans notre commune, beaucoup de jeunes se tournent vers cette activité notamment en raison de certaines barrières à l’embauche, comme le fait d’avoir un nom pas forcement ‘politiquement correct’», explique au Figaro le maire UDI de Bobigny, Stéphane De Paoli. « Ces personnes veulent travailler, avoir une certaine liberté pour vivre comme tout le monde. Mais on ne propose peut-être pas un emploi en lien avec leur compétence, d’où l’émergence de ces activités alternatives », ajoute-il.

Allez à Stains expliquer aux jeunes qui font chauffeur Uber, de manière volontaire, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer

En l’espace de 10 ans, dans ce département du nord de Paris, les créations d’entreprises de transport ont été multipliées par vingt. « Même si le métier a ses difficultés, ses échecs, nous sommes fiers de notre démarche. Cela a permis à certains de porter un nouveau regard sur ces jeunes de banlieue. C’est un vrai moyen de réintégrer des personnes dans la société, à l’heure où tout le monde ne peut accéder au CDI », déclare quant à elle une porte-parole de Uber. À Stains, toujours en Seine-Saint-Denis, 1.2 habitant sur 100 est chauffeur. En 2016, quelques mois avant l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait pris l’exemple de cette ville pour louer l’arrivée de Uber dans les banlieues touchées par le chômage. « Allez à Stains expliquer aux jeunes qui font chauffeur Uber, de manière volontaire, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer », avait-il déclaré, provoquant la grogne de nombreux chauffeurs se sentant stigmatisés.

Commune Taux de chauffeurs Taux de non diplômés Taux de chômage Taux de pauvreté
Villepinte 1.7% 39.6% 13.8% 22.0%
Villetaneuse 1.5% 48.9% 18.6% 32.0%
L’Île-Saint-Denis 1.4% 37.4% 16.6% 33.0%
Épinay-sur-Seine 1.2% 42.1% 11.9% 31.0%
Pierrefitte-sur-Seine 1.2% 49.9% 15.5% 38.0%
Le Blanc-Mesnil 1.2% 46.9% 15.7% 31.0%
Bobigny 1.2% 50.4% 16.0% 36.0%
Stains 1.2% 49.5% 15.2% 37.0%
Dugny 1.1% 37.6% 14.5% 30.0%
Le Bourget 1.1% 41.4% 13.9% 30.0%
Tremblay-en-France 1.1% 36.5% 11.1% 17.0%
Drancy 1.1% 45.9% 14.6% 29.0%
Romainville 1.0% 39.3% 14.6% 28.0%
Aulnay-sous-Bois 1.0% 42.8% 14.0% 26.0%
Bagnolet 1.0% 37.6% 13.9% 31.0%
Bondy 1.0% 43.8% 15.7% 30.0%
Sevran 1.0% 41.8% 14.0% 31.0%
Saint-Ouen 1.0% 35.4% 14.3% 29.0%
La Courneuve 1.0% 53.2% 18.8% 42.0%
Saint-Denis 1.0% 46.3% 17.5% 39.0%
Aubervilliers 1.0% 49.9% 16.6% 44.0%
Les Pavillons-sous-Bois 0.9% 31.5% 9.3% 19.0%
Clichy-sous-Bois 0.9% 55.1% 15.5% 44.0%
Vaujours 0.9% 31.4% 8.5% 12.0%
Noisy-le-Sec 0.8% 41.8% 15.5% 30.0%
Livry-Gargan 0.8% 33.6% 9.5% 16.0%
Pantin 0.8% 38.2% 14.5% 33.0%
Montreuil 0.8% 33.8% 14.0% 27.0%
Rosny-sous-Bois 0.7% 32.7% 10.8% 20.0%
Noisy-le-Grand 0.7% 30.8% 10.7% 16.0%
Gagny 0.7% 32.5% 10.1% 16.0%
Montfermeil 0.7% 41.4% 11.5% 24.0%
Le Pré-Saint-Gervais 0.7% 31.3% 13.7% 25.0%
Neuilly-sur-Marne 0.6% 33.0% 11.0% 19.0%
Les Lilas 0.6% 27.9% 11.1% 16.0%
Villemomble 0.6% 29.9% 9.1% 21.0%
Le Raincy 0.5% 22.4% 8.7% 11.0%
Neuilly-Plaisance 0.5% 27.2% 8.6% 13.0%
Coubron 0.5% 24.2% 6.7% 6.0%
Gournay-sur-Marne 0.3% 22.9% 6.2% 6.0%

Ici comme ailleurs, ce sont les jeunes en grande majorité qui s’intéressent à cette profession. « Uber est perçu par les jeunes comme étant un moyen d’éviter le chômage, qui les frappe particulièrement durement », décrypte David Thesmar et Augustin Landier. Et pour cause, d’après la société californienne, plus de la moitié de ses chauffeurs a entre 18 et 34 ans. Et à l’inverse, selon un étude Harris, ils sont seulement 10% à avoir plus de 50 ans. Au-delà d’éviter le chômage, certains jeunes deviennent chauffeurs VTC pour obtenir une première expérience sur le marché du travail, et ensuite envisager une reconversion.

Pour ces jeunes, la volonté d’autonomie est un argument majeur dans leur choix professionnel. Le fait de pouvoir gérer leur planning comme bon leur semble est souvent mis en avant, comme le fait de pouvoir travailler en fonction des heures où la demande est la plus forte pour espérer une majoration de la part des applications et un rendement optimal. Un système qui pousse souvent les chauffeurs à travailler de nuit, à l’heure des sorties ou au contraire au petit matin pour les trajets domicile-travail. « Les plateformes martèlent que devenir chauffeur permet d’avoir de l’autonomie, de travailler comme on veut… C’est un argument qui peut séduire, du moins au début. Mais être chauffeur Uber n’est pas une solution pérenne, les situations d’endettement sont extrêmement nombreuses », prévient Sarah Abdelnour.

De nombreux sociologues mettent aujourd’hui en avant la difficulté du travail et de ses dangers, particulièrement dans l’Hexagone. « En France, les personnes qui travaillent avec Uber et d’autres applications le font à plein temps. Du fait de l’investissement des voitures exigé, on se situe plutôt dans un travail principal. À l’inverse des Etats-Unis, où on conduit comme on faisait Uber Pop en France. C’est-à-dire à côté d’un travail et en appoint », explique Sarah Abdelnour.

Ce constat est également valable pour la banlieue lyonnaise.
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