La ministre des transports dévoile à La Croix les priorités de la future loi d’orientation des mobilités. Elisabeth Borne annonce notamment un plan de désenclavement routier sur 10 ans, la création d’autorités organisatrices de transport sur tous les territoires et une priorité aux nœuds ferroviaires autour des métropoles.
La Croix : Pourquoi fallait-il organiser ces Assises de la mobilité ?
Élisabeth Borne : Tout simplement parce qu’il y a 35 ans que l’on n’avait pas vraiment réfléchi à ce que devait être une politique de mobilité des Français. L’État s’est trop enfermé dans un rôle de bâtisseur d’infrastructures, lié sans doute à l’héritage du ministère de l’équipement. Les transports étant surtout une compétence décentralisée, les pouvoirs publics se sont peut-être éloignés de ce qu’est la mobilité du quotidien. Alors qu’il lui faut créer le cadre dans lequel chacun se verra offrir des solutions.
Il fallait donc réunir les élus, les acteurs du secteur qu’ils soient traditionnels ou issus de startups, et surtout les citoyens pour qu’ils nous fassent remonter leur quotidien, leurs besoins, leurs propositions et leurs revendications. Nous avions prévu une quinzaine de réunions publiques, il y en a eu une soixantaine à travers la France, des métropoles aux territoires ruraux, dont beaucoup issues d’initiatives de parlementaires et d’élus locaux. Les centaines de personnes consultées à travers les groupes de travail, les plus de 25 000 avis reçus sur notre plate-forme Internet.
On est face à une France à deux vitesses où les sujets de mobilité sont souvent vécus comme une injustice entre les citoyens et entre les territoires. Il y a une véritable urgence à répondre à ces réalités en ayant en tête que la mobilité physique est la condition nécessaire à la mobilité professionnelle et la mobilité sociale. Il faut rappeler qu’un Français sur quatre a déjà refusé un emploi ou une formation car il ne pouvait pas s’y rendre.
Ces assises vont donc nourrir le projet de loi d’orientation des mobilités dont le gouvernement présentera les mesures en février 2018. Je lui fixe un objectif principal : redonner ses chances à chaque territoire et à chaque citoyen.
Quelles seront les grandes lignes de ce projet ?
E. B. : D’abord un plan sur dix ans pour achever le désenclavement de la France, grâce à une remise à niveau du réseau routier national. À Aurillac, par exemple, les gens ne demandent pas une autoroute, ni même une route à deux fois deux voies. Ils veulent simplement ne plus mettre une heure et demie pour rejoindre l’autoroute. Ils attendent des contournements de bourgs et villages et le traitement des points noirs en termes de sécurité.
E. B. : Nous sommes en train de faire les chiffrages mais cela n’a rien à voir avec les milliards d’euros dépensés pour les lignes à grande vitesse ferroviaires. Bien entendu, nous aurons aussi besoin de ressources supplémentaires. Sans refaire l’écotaxe, faire contribuer les poids lourds, notamment ceux qui sont en transit en France, est clairement une piste de réflexion, mais cela doit se faire en concertation avec les entreprises pour savoir comment elles peuvent répercuter les frais sur les chargeurs.
Quels sont les autres points de la loi ?
E. B. : Aujourd’hui, il existe des autorités organisatrices de la mobilité uniquement dans les grandes villes. Mais pas dans près de 80 % du territoire où personne n’est responsable de proposer des services de transport aux habitants. Ce sont de véritables zones blanches de la mobilité. Les citoyens qui n’y ont pas accès à une voiture, jeunes, personnes âgées ou modestes, sont comme assignées à résidence.
Dans la loi que je porterai, il y aura l’objectif que 100 % du territoire soit couvert par une autorité organisatrice. Le dispositif doit être défini avec les communautés de communes et les régions, qui sont spontanément compétentes sur ce sujet. Mettre en place un plan de covoiturage ou disposer d’une offre de transport à la demande ne supposent pas beaucoup d’investissement mais des ressources d’ingénierie dont les petites communes ne disposent pas toujours.
On ne parle plus donc de grands projets d’infrastructure ?
E. B. : Ce sera aussi un volet de la loi : pour la première fois, le parlement votera une programmation des grands projets. Ce sera la façon la plus démocratique et transparente. Nous nous appuierons sur les travaux encore en cours du Conseil dirigé par Philippe Duron.
Mais encore une fois, les citoyens ne nous demandent pas en priorité des TGV ou des autoroutes, mais des solutions pragmatiques pour leurs trajets de tous les jours. Il faut changer de point de vue et raisonner à partir de l’usager et non plus des infrastructures. On a trop longtemps fait des promesses de lignes nouvelles à tout le monde. Il y a même pour 36 milliards d’euros de promesses et chacun considère que sa ligne est prioritaire. Il est temps de faire des priorités, c’est le Parlement qui aura le dernier mot.
Et justement, qu’en est-il du TGV ?
E. B. : Il faut repenser son modèle économique alors que 70 % des dessertes sont déficitaires. Je suis très attachée à un TGV accessible à tous car c’est sa vocation. Mais on ne peut pas à la fois vouloir des TGV qui vont partout et tout le temps, des petits prix et laisser croire que l’augmentation des péages réglera les problèmes… En même temps, il ne s’agit pas de revenir en arrière en supprimant la desserte de villes moyennes car les collectivités locales ont souvent cofinancé les lignes en échange de cette promesse.
Le gouvernement a confié une mission à Jean Cyril Spinetta pour nous aider doter l’État d’une véritable stratégie du ferroviaire, à préparer l’ouverture à la concurrence… Et tout cela dans un contexte où la dette de SNCF Réseau atteindra 50 milliards d’euros l’année prochaine.
Covoiturage, auto-stop organisé, autopartage, autocars ou encore flottes de vélo : l’apparition de nouvelles formes de mobilités révolutionne les transports. Quelles places auront-elles dans la loi ?
E. B. : Une place centrale car cette révolution justifiait aussi ces Assises. La loi doit aider ces nouvelles mobilités à se développer, car leur intégration dans les offres globales de transport est sans doute l’une des clés pour offrir une réponse à chacun.
Il faut pour cela, comme en Finlande, que les données des entreprises de transport public et celles des entreprises privées, souvent à l’initiative de ces nouvelles offres, soient ouvertes à tous. On peut imaginer que le transport public structurant puisse s’appuyer sur le privé pour des dessertes de plus en plus fines.