Le 4 septembre dernier France Info publie un article intitulé : « Sept réponses à votre beau-père Jean-Louis qui ne supporte plus la réduction des voies pour automobiles à Paris »
Voici nos réponses :
1) Les fermetures de voies de circulation ne feraient pas augmenter les bouchons
Pire, le temps passé pour parcourir la section concernée s’est allongé globalement de 50% à l’heure de pointe du soir ! Idem pour les bus RATP suivant ou recoupant les quais. Ils ont tous connu des allongements de leurs temps de parcours. Et les bouchons risquent bien de se multiplier aussi du côté de la rue de Rivoli. Avec la suppression de deux voies pour les voitures, cela paraît tout à fait probable, même s’il n’existe pas encore de données pour le calculer.
Mais Jean-Louis, rassurez-vous : ce ne sera pas toujours comme ça. Avec le report modal, le nombre de voitures finira par diminuer dans la ville… Ce n’est pas très agréable, mais ces bouchons servent aussi à décourager les gens de prendre leur voiture, au profit d’autres modes de transport : le vélo, le bus, le métro, le covoiturage… Passé ces ajustements de départ, la circulation va s’ordonner d’elle-même. Le nombre de voitures tendra alors à diminuer, explique Phil Goodwin, professeur honoraire en politique des transports de l’University College de Londres, cité par Le Monde. Et on peut déjà le constater à Paris. Avec les aménagements de voirie (piste cyclable, plots, couloirs de bus), le trafic automobile de la capitale a diminué de 28% depuis 2001 ! Encore un petit effort, et la voie sera libre…
L’argument relève bien de la mauvaise foi. Oui il y a plus de bouchons, vous avez raison. Mais peut-être qu’un jour, comme les gens seront à bout, ils déménageront ou on les forcera à prendre un moyen alternatif. On notera l’utilisation du terme « report modal », qui sous-entend une sorte de principe physique qui arriverait de toute façon. Or apparemment, le report modal ne se fait pas si facilement, puisque malgré tous les obstacles (voies fermées, taxes, tolérance zéro et répression à tout va, nouvelles normes…), les automobilistes continuent d’utiliser leur voiture.
2) Les services de secours circulent sans problème dans les bouchons
« Je suis inquiet des difficultés que va poser l’aménagement tel qu’il est prévu pour les véhicules de secours et d’intervention de la police dans un contexte où les congestions vont croissant », déclarait en août le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, au Monde.
La mairie de Paris affirme pourtant avoir prévu le coup. Un mode de stationnement adapté aux livraisons doit répondre au problème des véhicules d’urgence. Il prévoit des places de livraison empiétant d’un mètre sur le trottoir et d’un mètre sur la voie de bus, ce qui permet aux véhicules d’urgence de contourner les livreurs, rappelle Le Figaro.
Classique dans la mauvaise foi, le journaliste cite un seul argument : les véhicules de secours circulent mal uniquement à cause des véhicules de livraison mal garés. Or ce n’est pas cela le problème. Lorsque la BRI a du intervenir à pied (!) lors de l’attentat de l’Hypercasher à cause des embouteillages sur le périphérique, ce n’était pas à cause du livreur de colis.
3) Créer des bouchons c’est aussi bon pour la santé
Là encore, votre flair ne vous trompe pas, Jean-Louis. En tout cas à première vue… C’est vrai qu’à deux pas de la file des voitures diesel, les piétons subissent de fortes doses de pollution. AirParif a montré que les niveaux de concentration de dioxyde d’azote, caractéristiques de la pollution automobile, ont augmenté sur tous les axes de report du trafic, après la piétonisation des voies sur berge. En fin de zone piétonisée, en direction de l’est parisien, AirParif note même une augmentation du taux de dioxyde d’azote de 5 à 10% sur un an.
Mais sur cette question, il faut prendre un peu de recul. Un autre rapport d’Airparif de juillet 2013 permet d’avoir une vision à plus long terme des mesures de réduction des automobiles à Paris. Le rapport confirme que les aménagements réalisés dans Paris intra-muros, qui ont abouti à la diminution générale du trafic, ont eu un impact significatif sur la qualité de l’air entre 2002 et 2012, du fait de la réduction des émissions de polluants émis dans l’atmosphère. Sur ces dix ans, les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines ont diminué d’environ 30% ! Encore une fois, Jean-Louis, il faut s’inscrire dans la durée pour envisager les conséquences de ces mesures.
Là encore, le journaliste, surement mal renseigné, ignore que le parc automobile s’est renouvelé et qu’il y a eu du progrès depuis 2002 sur le niveau de pollution des véhicules…
4) La pollution sur les voies sur berge
En mars 2017, Air Parif note, dans un rapport, « une amélioration de la qualité de l’air le long des quais fermés à la circulation ». Et pas qu’un peu ! Sur les berges de Seine piétonisées, les niveaux de dioxyde d’azote sont 25% plus faibles que sur le trottoir du quai haut, du fait de l’absence de trafic. A cet endroit, les niveaux sont comparables à ceux que l’on retrouve en situation éloignée du trafic, par exemple dans les parcs.
Le journaliste oublie de signaler que la pollution a fortement augmenté sur les autres axes de circulation qui sont eux, plus proches des habitations et donc le bilan final apparaît comme bien négatif.
5) Beaucoup de gens utilisent les pistes cyclables, c’est utile
Vous avez vu tourner un peu partout sur les réseaux sociaux ces photos de la toute nouvelle piste cyclable sur la voie Georges-Pompidou quasiment vide. Les images peuvent être trompeuses et la raison de cette absence de cycliste est assez simple : la piste cyclable est encore… fermée ! Un panneau indique même que les travaux doivent durer jusqu’au 30 septembre à l’entrée de cette piste. La communication aurait pu être plus claire, reconnaît tout de même Christophe Najdovski, l’adjoint au maire de Paris en charge des transports, à nos confrères de France Bleu. Encore une fois, la tendance, sur le long terme est à l’augmentation du nombre de cyclistes. Les dernières données fiables remontent à 2014, année durant laquelle le nombre d’utilisateurs de vélo a grimpé de 8%, pendant que la voiture continuait de décroître.
Le nombre d’utilisateurs de vélo n’a augmenté que 8%, c’est évidemment très peu. On notera l’utilisation du terme « grimpé », voulant accentuer l’augmentation.
6) Sur le manque de concertation
En revanche, il est vrai que les élus de la banlieue parisienne se sont montrés moins convaincus. A la fin novembre 2016, 168 maires d’Ile-de-France ont adressé une lettre ouverte à la maire de Paris pour critiquer la piétonisation des voies sur berges qui « entraîne une détérioration de la vie quotidienne de dizaines de milliers de Franciliens ». Une décision prise « sans concertation », assurent-ils, cités par Le Figaro.
Le journaliste admet lui-même qu’il n’y a pas eu de vraie concertation car les représentants des habitants de la proche banlieue, très concernés par le problème, n’ont pas été consultés.
7) Les transports en commun, c’est génial
Pourtant, Jean-Louis, des alternatives, il en existe et de nombreuses. Paris est même la ville au monde la mieux desservie en transports en commun, selon une étude de l’Institute for Transportation and Development Policy. Et de nouvelles infrastructures arrivent, avec de nombreux prolongements de métro et de lignes de tramway et le Grand Paris Express à l’horizon 2024.
Le titre de « ville la mieux desservie » ne signifie pas que la ville est bien desservie… Et s’il faut attendre 2024 pour bien se déplacer, merci…
Vous n’avez pas envie d’être serré dans le métro ? En voilà une bonne raison pour vous mettre au vélo ! « L’augmentation des déplacements à vélo permet de désengorger le métro », constate ainsi Julien Demade, chercheur au CNRS et auteur du livre Les Embarras de Paris. La capitale possède même l’un des plus grand réseau de vélos en libre-service du monde, les Vélib’.
Bravo Einstein ! Si quelqu’un ne prend pas le métro mais son vélo, il y a une personne en moins dans le métro.
Bien sûr, toutes ces alternatives ont leurs défauts (le RER n’affiche que 80% de ponctualité en 2016) et dans certaines situations, l’utilisation de la voiture reste indispensable. Mais 80% des véhicules qui roulent dans le centre de Paris ne transportent qu’une seule personne, ce qui laisse une large marge de progression pour les alternatives, comme le covoiturage…
Quel est le rapport entre la ponctualité du RER et les véhicules avec une seule personne à bord ? Aussi, pourquoi ne pas développer les voies de covoiturage alors ? Enfin, les 80% de véhicules occupés par une seule personne, est-ce vraiment améliorable ? Est-ce qu’une infirmière devrait prendre des covoitureurs sur son trajet de 3 km ? Et le livreur qui s’arrête tous les 300 mètres, devraient-il lui aussi prendre des covoitureurs ?
Enfin, on se demandera pourquoi Jean-Louis, pourquoi le beau-père, et pas Caroline ou Fouad. Quelle image est-il censé renvoyer ? Ne parlons même pas du ton très paternaliste de l’article de France Info…
Rappel : France Info, qui se revendique du service public, appartient au groupe Radio France, financé à 90% par la redevance audiovisuelle (redevance obligatoire, dont les exemptions sont rares), pour un montant annuel de 575 millions d’euros. Pour le prix, cela manque un peu de rigueur…