En durcissant le barème du malus, le gouvernement montre que l’automobile demeure sa source de taxation favorite, grâce à la créativité du député Joël Giraud.
Le Sénat a-t-il encore voix au chapitre ? C’est le seul recours, bien illusoire, qui reste encore après le passage en première lecture devant l’Assemblée nationale du projet de loi de finances incluant la nouvelle grille du malus. Non content, comme nous l’avons déjà relaté ici même, d’abaisser le seuil de déclenchement du malus de 127 g précédemment à 120 g en 2018, le législateur s’est attaqué à d’autres pans jusque-là laissés à l’abri de sa boulimie automobile.
Ainsi, il entend supprimer toute aide à la voiture hybride, en contradiction flagrante avec un volontarisme environnemental pourtant réaffirmé. Dans le même temps, il prévoit de taxer les voitures d’occasion de plus de 10 CV ainsi que les voitures de sport de plus de 36 CV. Soit trois types de clientèles radicalement différentes. Voilà pointées les dérives d’un système qui vise ni plus ni moins qu’à décourager l’usage de l’automobile alors qu’elle est un ressort économique vital du pays. En d’autres termes, on scie la branche sur laquelle on est assis.
4 voitures neuves sur 5 sans malus
Après la véritable inquisition autophobe menée par la maire de Paris, voilà donc que l’État, au prétexte de la protection de l’environnement, ajoute sa patte alors même qu’il n’y a plus péril en la demeure France, au moins pour les voitures neuves. En septembre dernier, la moyenne des émissions des voitures vendues en France s’établissait en effet à 110,5 g/km de CO2. On est certes loin encore de l’objectif assigné par la Commission européenne, 95 g/km, qui relève de la pure théorie technocratique ne tenant aucun compte des réalités industrielles et de marché. Mais on fait, en raison de la paupérisation du parc français voué aux petits moteurs, bien mieux que nos puissants voisins européens. Mieux encore, et toujours selon le ministère de M. Hulot, la part des voitures affectées d’un malus poursuit son repli (- 0,3 point) à 17,4 % des ventes seulement. Cela démontre bien qu’il n’y a pas, en France, l’ampleur du problème des voitures neuves polluantes que l’on se plaît à décrire dans les rangs de la majorité et que le bras de levier efficace se situe surtout sur les anciens modèles. Voyons cela en détail.
- Malus pour tous. Tour de vis sur le nouveau barème du malus, une voiture neuve sera soumise à la taxe à partir de 120 g de CO2 émis par kilomètre en moyenne, contre 127 g/km actuellement et 131 g/km en 2016. Cela concernera ainsi la quasi-totalité des véhicules à motorisation uniquement thermique. « Le but est bien d’orienter les stratégies d’achat vers des véhicules très peu polluants et de dissuader les constructeurs de jouer avec la règle pour descendre d’une catégorie », avoue-t-on au ministère du Développement durable. Et de fait, la progression en escalier précédente a été gommée au « profit » d’une courbe progressive « au gramme près ». Sauf que la grille évolue de plus en plus vite au fur et à mesure qu’elle grimpe dans l’échelle des émissions de CO2. Et qu’avec le seul C02 pour référence, on continue à avantager le diesel vis-à-vis de l’essence. Et, pour être exact, l’hybride rechargeable, très bien placée sur ce plan, mais qui perdra au 1er janvier 2018 sa prime systématique de 1 000 euros. Selon le nouveau barème, à taux de CO2 équivalent, le montant du malus augmente parfois jusqu’à plus de 300 %. Ainsi, l’acheteur d’une auto émettant 120 g/km devra payer 50 euros là où il ne réglait rien en 2017. À 127 g/km, un automobiliste payait 50 euros cette année, ce sera 173 euros en 2018 (+ 246 %). La hausse passe à + 296 % à 128 g/CO2 (210 euros au lieu de 53). À 150 g/CO2 qui était il y a quelques années seulement une moyenne nationale, c’est un supplément de 1 000 euros qu’il faudra prévoir, soit 2 300 euros de malus au total (au lieu de 1 373 euros cette année) pour l’achat d’une voiture neuve, soit une augmentation de 68 % ! Le plafond sera à payer à partir de 185 g/km au lieu 191 g/km actuellement et passe à une enveloppe unique de 10 500 euros (+ 500 euros).
- Bonus pour quelques-uns. Les véhicules électriques s’en tirent encore bien avec un bonus-prime ramené à 6 000 euros. Une subvention colossale, financée par la communauté au profit de quelques-uns, pour une technologie qui n’a pas fait ses preuves sur toute la chaîne environnementale (depuis la production jusqu’au recyclage final). Pour le barème du bonus, ce sont les hybrides rechargeables qui recevront l’aumône de quelques dizaines d’euros alors qu’elles sont beaucoup plus coûteuses à l’achat. Le reste de la troupe est constitué par des petites voitures, souvent diesel on l’a dit, comme si le ministre de l’Écologie n’avait pas encore réussi à convaincre ses pairs que la pollution ne se situe pas dans le CO2 mais dans le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote, les hydrocarbures imbrulés et les particules. De sa part, il y a là un échec cuisant mais il pourra s’abriter derrière l’argument selon lequel ailleurs c’est pareil. Maigre argument.
- Occasions épinglées. C’est une nouvelle taxe qui est ajoutée et qui frappe de façon inique une voiture d’occasion, c’est-à-dire une voiture qui a déjà été taxée lors de son achat à l’état neuf. Il suffit donc qu’elle passe en de secondes mains (et les transactions suivantes aussi) pour que l’acheteur doive acquitter une taxe additionnelle. Comme si cette voiture n’avait pas supporté de prélèvements très lourds depuis la vente initiale et ensuite pour son usage. Avançant sur la pointe des pieds, la taxe ne frappera au début que les véhicules de plus de 10 CV. Mais quand sera-t-il ensuite puisqu’on sait que le fisc est suffisamment roué pour élargir sournoisement l’assiette de l’impôt ? Le montant de la taxe va crescendo : de 10 CV à 11 CV inclus, il faudra payer 100 euros, puis 300 euros entre 12 CV et 14 CV inclus, pour atteindre 1 000 euros dès 15 CV de puissance fiscale. Pour le député Joël Giraud, qui a engagé cette brillante trouvaille, « il s’agit d’envoyer un signal incitant les automobilistes à choisir des véhicules moins puissants ». En réalité, ce député éclairé risque tout simplement de saboter l’ensemble du marché de l’occasion en gelant les transactions alors qu’il vise en premier lieu les SUV hybrides rechargeables qui échappent en partie au malus en neuf. Ces véhicules plutôt hauts de gamme, puisqu’ils ont le mérite de défricher une nouvelle technologie appelée à irriguer ensuite, lorsqu’elles seront amorties, le marché des voitures plus modestes, sont littéralement punis d’avoir trop bien fait. Voilà qui dépasse l’entendement mais ne semble pas choquer le législateur ni même Nicolas Hulot.
- Sportives visées. Poursuivant une sorte de chasse aux sorcières, le projet de loi de finances imagine un nouvel impôt censé rapporter 30 millions d’euros à l’État. Cette taxe nouvelle serait prélevée, si le Sénat n’y met son veto, sur les voitures sportives et haut de gamme à raison de 500 euros par CV fiscal à compter du 36e. Magnanime, le projet plafonne tout de même – pour le moment – cette super-taxe à 8 000 euros (soit à compter de 51 CV). Sans attendre, elle sera prélevée dès le 1er janvier 2018, la date de facture (et non de livraison) faisant foi.
- Collections épargnées. Le 12 octobre dernier, la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) avait découvert un amendement du groupe La République en marche (LREM) assimilant les véhicules de collection de forte cylindrée (plus de 36 chevaux) aux véhicules de luxe de « très haute puissance » évoqués au point précédent. Plutôt que de jouer les victimes, la FFVE s’est emparée dès le lendemain du dossier en interpellant le Premier ministre, M. Édouard Philippe, le ministre des Comptes publics, M. Gérard Darmanin, et le rapporteur général du Budget, M. Joël Giraud. Elle a fait valoir la sottise de cette taxation et a demandé une exonération de ces véhicules, partie intégrante de notre patrimoine automobile dont la valeur est le plus souvent comprise entre 8 000 et 15 000 euros. Elle a obtenu gain de cause, au moins pour les véhicules détenant une carte grise collection, ce qui devrait concerner environ 5 000 véhicules à caractère historique. Une leçon pour l’ensemble des automobilistes qui doivent retenir qu’en faisant preuve de leur désaccord, ils peuvent, à la façon des motards, faire plier les pouvoirs publics qui redoutent la contestation par-dessus tout.
- Primé et taxé à la fois. C’est l’une des conséquences insolites de l’arsenal déployé par le gouvernement : un véhicule pourra à la fois être primé et ensuite taxé, pour la même raison. Cette situation kafkaïenne, relevée par le Centre national des professions de l’automobile, rapproche la prime à la conversion qui aide les ménages les plus défavorisés à échanger une voiture très polluante contre une occasion qui l’est moins. Mais, relève le CNPA, il pourra y avoir chevauchement de la prime à la conversion et du malus. « En effet, constate le CNPA, en l’état actuel des annonces, un véhicule neuf essence ou diesel émettant entre 120 et 130 g/CO2 par km est éligible à la prime à la conversion (- de 130 g de CO2), car il est considéré comme peu émetteur… tout en faisant l’objet d’un malus pouvant aller de 50 à 253 euros (seuil de déclenchement du malus à 120 g de CO2) car il est considéré comme trop émetteur. Ce chevauchement de la prime à la conversion et du malus pourrait se faire également sur la gamme diesel, un amendement dans ce sens souhaitant abaisser le seuil de déclenchement du malus spécifique sur le diesel à 99 g CO2/km ayant été déposé. Ainsi, un véhicule diesel émettant 130 g de CO2/km pourrait à la fois bénéficier d’une prime à la conversion de 1000 euros…, mais ferait l’objet d’un malus de 2 300 euros ! »
On sera curieux de voir comment le gouvernement va régler cette situation pour le moins insolite .« Ces incohérences montrent l’urgence qu’il y a à travailler ensemble, pour proposer des mesures réellement incitatives et compréhensibles des automobilistes », déclare Francis Bartholomé, président du CNPA. Vœu pieux, hélas, car le gouvernement gouverne en sa tour d’ivoire et se méfie de tous ceux qui connaissent le sujet mieux que lui. Seul espoir de voir révisé cet échafaudage fiscal improbable, le Sénat, qui tient là une occasion publique unique de montrer qu’il existe.